saigner, c'est morbide?
- lou damour
- 3 avr. 2018
- 3 min de lecture
Je suis surtout déçue, et surtout crispée, sur moi-même, le genre d’état que seule la réactivation de la conscience de la longueur du chemin peut déclencher. Voilà une conséquence de la perte de perceptions objectives. Construire autour de soi des remparts consensualistes afin de mener une vie plus confortable et d’approfondir un raisonnement protégée de l’opinion dominante…Et finir par l’oublier, et subir une confrontation plus violente. Pourtant je connais le phénomène et tente de rester vigilante, lucide.
Ce qui me rend dingue, évidement, c’est mon étonnement face à une réaction démontrant ma lucidité corrompue par un trop grand positivisme quant à l’avancé de l’opinion général sur certaines thématiques.
Je réagie à une réaction inattendu d’une personne de mon entourage proche à propos de mon témoignage illustrée sur mon expérience des menstruations (aux changements de l’expérience par le D.I.U et les injections de loveneox).
« Ce dessin, il est morbide, violant, ça ne m’intéresse pas).
Cela m’a semblé assez ironique venant de quelqu’un s’amusant il y a peu à m’interpeller lorsque des images d’un cadavre de femme ensanglanté défilaient lors de la projection d’un film. Je reprends les paroles d’une tierce personne présente lors de cette scène : « il n’y a aucun intérêt à regarder ça maintenant, sortie de son contexte, c’est de la violence gratuite ». Cette violence à évidemment un intérêt : maintenir une domination.
« Une femme nue, avec du sang, oui c’est morbide »
Mon dessin (nous parlerons ici juste du premier car le critique n’est pas allé plus loin rebuté par tant de violence) montre un personnage bien vivant et n’ayant pas l’air de souffrir, il sourit même d’un air satisfait. Le sang émanant du corps lacéré d’une femme saccagée par un homme passe. Le sang d’une femme s’écoulant de son sexe, c’est morbide. La nudité des femmes en souffrance est sublimée dans la peinture*, les femmes ensanglantées des films et publicités pas moins érotisée ; Notre œil à l’habitude de cette pâleur, ce sang, ces convulsions, ces yeux révulsés de douleur orgasmique ; La représentation du corps de la femme désirable est empreinte de nécrophilie dans notre culture. Le macabre, c’est sexy ; la femme désirable est une femme morte ; ce sont les femmes vivantes et n’accédant pas à l’état éthéré qui paraissent morbides, au sens d’anormales et dépravées, trahissant le devoir de perfection figée par la mort que promettent les jeunes cadavres.
* à lire "Femmes, art et pouvoir" de Linda NOCHLIN
« Tu m’aurais montré quelqu’un avec un bras coupé, cela aurait été pareille pour moi ».
Non. Non, cette comparaison ne peut être faite. Le bras coupé, c’est une blessure, une altération du corps, un évènement extraordinaire ; l’écoulement menstruelle à l’opposé fait partie de la vie des AFAB, et cela ne présente pas de risque certain pour la santé, cette écoulement n’est justement pas dû à un acte violant (si ce n’est celui de se manifester vivant.es).
« Ça ne m’intéresse pas, je ne vais pas cherchez plus loin » en réponse à la communication de mon ressentit d’offense, quant à la qualification de mon quotidien de « morbide » ; selon moi abusive ; de plus illégitime de la part de quelqu’un ne regardant pas dans l’intégralité un contenu.
Le rejet instinctif et indiscutable d’un dessin, d’une représentation en générale devrait soulever une analyse de la part du regardeur. Refuser de débattre à propos de sujet nous rendant mal-à-l’aise, c’est un droit (certes improductif), mais dans ce cas il faut accepter de garder son jugement pour sois. Il est clairement compréhensible pour quelqu’un de mon entourage proche que ce dessin est un autoportrait : il est plutôt blessant d’entendre «ce quotidien et cette souffrance ne m’intéresse pas » ; autrement dit « tant que ta souffrance et ton quotidien concerne ton existence en tant qu’AFAB je préfère l’ignorer ». Je sais que cette personne aurait été très compatissante si j’avais eu le bras coupé, ou même plus simplement d’une petite douleur que les AMAB connaissent également.
Ces réflexions sont symptomatiques d’un avis général difficile à admettre : ce qui concerne en premiers lieu la gêne de la majorité opprimée n’est pas digne d’intérêt pour la partie dominante. Ce fait est rattaché au problème de la représentation* : Tous ceux qui s’opposent à l’image de l’hommehétérocisblancrichenonhandicapé ont développé la capacité de s’adapter et de compatir avec des personnages, et donc des gens avec des caractéristiques et des problèmes différent. Plus une personne fait face à l’intersexionnalité, plus elle est forcé de développé cette aptitude. Celui correspondant à la représentation « normale » habitué à une identification simplifié depuis toujours, pourquoi ferait-il l’effort de s’intéresser à une production ne parlant pas de ce qui peut le toucher directement en tant que personnage principal ? Pourquoi aller plus loin qu’une première page ?
J’ajoute que maintenir dans une position d’inconfort les AFAB avec leurs menstruations à des conséquences graves (http://www.lemonde.fr/sciences/article/2015/06/15/sexiste-la-medecine_4654533_1650684.html)
*sur le problème de la représentation : http://www.mirionmalle.com/2014/07/representation-pour-tous.html
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